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Tous les jours, par tous les temps

Vous allez découvrir ci-dessous les propos d'un porteur de journal interrogé dans un bistrot aux alentours de 6H du matin, à la fin de sa tournée.


Prenez le temps de l'écouter, il le mérite, son travail est ingrat et pourtant, il ne manque jamais une journée.


Merci à ces travailleurs oubliés qui déposent chaque jour notre quotidien préféré dans la boite aux lettres mais un grand merci également à ces milliers d'abonnés qui, en versant moins d'un euro par jour, permettent de pérénniser ces emplois.

Interview d'un porteur de journaux enregistré et reproduit en l'état


Je me réveille tous les jours à 3 heures du matin pour aller livrer le quotidien régional aux abonnées. Mon rôle consiste à mettre le journal bien plié en deux dans les boîtes aux lettres de 4h30 à 6h du matin.


De fait, il faut se rendre au dépôt à six kilomètres de l’endroit où j’habite pour prendre les ballots de journaux. Ainsi, tous les matins à trois heures, je suis sur le pied de guerre. Je le fais tous les jours de la semaine, toute l'année, sauf le 1er mai !


J’ai commencé en plein hiver, en janvier dernier. Il y avait au moins trente centimètres de neige sur les routes. Et il faisait un froid de canard. Débout ce jour là, à deux heures du matin, j’ai pris un thé chaud, emmitouflé dans une polaire, un bonnet noir sur la tête, je suis parti pour une heure et quart de livraison. Alors que le ciel est encore noir et que les rues sont blanches de neiges, ma mission est de faire plus d’une centaines de boîtes aux lettres. En réalité, 122 boîtes.


J’ai cru que c’était un travail tout bénef pour moi. Avec la nuit, on ne voit pas forcément les numéros des boîtes où l’on doit mettre le journal. Avec le verglas, on glisse et on manque de se rompre le cou. Et si par aventure, il arrive que je manque par inadvertance une boîte, entre huit heures et dix heures, mon téléphone sonne et ce ne ce n'est pas pour me complimenter. Ainsi, le deuxième jour de ma prise d’activité, j’ai eu une panne de voiture. Ne connaissant pas le quartier où je devais faire ma livraison, je suis rentré avec une dizaine de journaux.


Vers les dix heures, un numéro s’affiche sur mon portable «Monsieur le porteur, si dans trente minutes, vous n’êtes pas là avec le journal, vous serez marron à la fin du mois.»


j’ai préféré ne pas répondre à cette provocation. Car depuis si longtemps je sais que je suis une minorité trop visible pour cette majorité trop pénible. Je suis donc allé mettre le journal dans la boîte de la bonne vieille dame. Parce qu’entre temps, j’ai réussi à bricoler la voiture qui est répartie.


En réalité le métier de porteur est un métier de solitaire. Très peu des gens que vous servez ne vous voient pas lorsque vous arrivez. Ils sont au lit. Et pas un chat dans les rues glaciales, hormis des lèves-tôt qui passent avec leurs voitures pour rentrer du travail ou se rendre au travail. Enfin, je fais parti de la France qui se lève tôt. Mais je demeure encore un citoyen de seconde zone, aussi, j’entends tout le temps les préjugés racistes les plus éculés.

Tout le mois de janvier, j’ai donc fait la tournée avec un compagnon qui connait bien le secteur que je desserts aujourd'hui mais, il a fini par renoncer. Les boîtes aux lettres gelées, les rues verglacées, et les mêmes gestes répétitifs ont fini par avoir raison de sa volonté. De fait, je ne suis pas le seul porteur à domicile du quotidien régional. Il y a Pascale qui le fait depuis quatre ans avec son mari. Elle dit, qu’elle a une tournée de sept cent journaux à peu près. Une grande tournée en somme.


Elle le fait avec son compagnon. Elle semble bien aimer cela. Il y a aussi cette dame blonde et son mari que je croise tous les matins vers six heures quand j’ai fini. Ils sont si silencieux, que je me demande si cela leur fait plaisir de faire ce boulot. Bah! trêves de jugement de valeur. Je crois qu’ils le font avec une conscience professionnelle aiguë.


Une fois, elle m’a adressé la parole, m’a demandé si «j’avais fini», j’ai dit que «oui». j’ai voulu savoir si elle avait une grosse tournée. Elle a répondu que «non». Et puis son mari est arrivé et elle est montée et ils ont continué leur boulot.


L’une des choses dont il faut faire attention pendant la tournée, c’est le carburant. Ainsi, tous les matins lorsque j’allume la voiture à quatre heures trente ou cinq heures trente, il tourne jusqu’à ce que je revienne à la maison. Car arrêter le moteur et le rallumer à chaque fois qu’on a mis un journal dans une boîte, c’est faire de la surconsommation.


Pas le temps de tailler une bavette . Et, si vous avez une panne sèche, vous l’avez dans le baba. A l’heure de l’internet triomphant, et de l’Ipad et autres outils technologiques, je me suis demandé qui lisait encore la presse sur un support papier. Et, lorsque le moment d’aller encaisser les clients est venu, j’ai vu que c’étaient des retraités pour la plupart, des gens qui ne sont pas connectés. Des gens qui certes se tiennent informés de la marche du monde mais autrement. Et oui, car après avoir mis les journaux, il faut aller à la fin du mois encaisser son dû. Et ce n’est pas une partie de plaisir. On brule encore son essence, on perd son temps à leur courir après Que ne ferait on pas pour un euro de plus ?


J’ai voulu savoir ce que mes clients trouvaient à recevoir si tôt le journal à domicile. Mr Canu, m’a répondu que pour lui «c’est un plaisir de lire l’information de proximité que livre le quotidien régional». A cinquante sept ans, il est un lecteur assidu. Pour Mme S, elle a le temps, elle est en retraite. Elle prend le temps d’ «étudier le journal» avoue -t- elle avec un sens de l’humour prononcé. Par moment au cours de la tournée, j’aperçois un chat ou un merle transis de froid. Pauvres bêtes, que font-elles à une heure pareille dehors ?


Mais, il parait qu’en travaillant ainsi, je fais désormais partie de la France qui se lève tôt et ne se couche jamais.

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